46

 

Comme on pouvait s’y attendre, la conversation à la table du commandant fut terne et ennuyeuse. Les invités se lançaient tour à tour dans le récit banal de leurs croisières précédentes. Pokovski, qui avait déjà entendu ces histoires des milliers de fois, se contentait d’écouter avec un sourire poli. Lorsqu’on l’interrogea, il raconta qu’il s’était engagé dans la marine soviétique à l’âge de dix-sept ans, qu’il avait ensuite gravi tous les échelons pour commander un transport de troupes et qu’après vingt ans de service il avait été nommé sur la compagnie des paquebots.

Il précisa que le Leonid Andreïev était un bâtiment de 14 000 tonnes, construit en Finlande avec une capacité de quatre cent soixante-dix-huit passagers et deux hommes d’équipage pour trois passagers. Ce paquebot moderne possédait une piscine couverte et une découverte, cinq bars, deux night-clubs, dix boutiques vendant des alcools et des produits russes, un cinéma, un théâtre et enfin une bibliothèque. Pendant l’été, il effectuait des croisières de dix jours dans les Caraïbes au départ de Miami.

Loren, profitant d’un court instant de silence, mentionna négligemment l’arrivée de l’hélicoptère. Le commandant alluma une cigarette.

« Vous, les Américains, avec votre argent, fit-il avec aisance. Deux riches Texans ont manqué le bateau à Miami et ont loué un hélicoptère pour se faire déposer à bord. Bien peu de mes compatriotes pourraient se permettre un tel luxe.

— Bien peu des miens également », lui assura la jeune femme.

Le commandant n’était pas seulement charmant et sympathique, c’était aussi un menteur consommé. Elle n’insista pas et se remit à grignoter sa salade.

Avant le dessert, Loren s’excusa et regagna sa suite du pont supérieur. Elle se débarrassa de ses chaussures, enleva sa jupe et sa veste puis les suspendit avant de s’affaler sur le grand lit. Elle revit le visage terrifié d’Alan Moran, se répétant que ce devait être quelqu’un qui lui ressemblait, qu’elle avait pu se tromper à la lueur de la lampe. Sa raison lui dictait qu’il ne s’agissait que d’un tour que lui avait joué son imagination.

Mais elle se souvenait de la question que Pitt lui avait posée au restaurant. Ne lui avait-il pas demandé si on parlait de personnages importants qui auraient disparu ? Son instinct lui disait maintenant qu’elle avait vu juste.

Elle étala le plan du paquebot sur le lit. Chercher Moran dans une véritable ville flottante de deux cent trente cabines, de quartiers pour un équipage de trois cents hommes, de diverses cales et d’une immense salle des machines, le tout s’étendant sur sept ponts et près de 150 mètres, était une cause perdue d’avance, Il ne lui fallait pas non plus oublier qu’elle représentait le gouvernement américain en territoire soviétique. Obtenir la permission du commandant Pokovski de fouiller le navire ? Autant lui demander d’abandonner la vodka pour le bourbon.

La première chose à faire était de se renseigner sur les allées et venues d’Alan Moran. S’il était chez lui à Washington en train de regarder la télévision, elle pourrait laisser tomber cette histoire de fous et profiter d’une bonne nuit de sommeil. Elle se rhabilla et se rendit dans la salle des communications. Heureusement, il n’y avait pas trop de monde et elle n’eut pas à attendre.

Une jolie Russe en uniforme lui demanda où elle désirait téléphoner.

« A Washington, répondit-elle. Un appel avec préavis pour Mrs. Sally Lindemann. Je vais vous écrire le numéro.

— Si vous voulez bien entrer dans la cabine 5, je vais établir votre communication par satellite. »

Loren patienta, espérant que sa secrétaire serait chez elle. Elle l’était. Une voix endormie répondit à l’opératrice, confirmant qu’elle était bien Sally Lindemann.

« C’est vous ? fit-elle lorsque Loren vint en ligne. Je parie que vous êtes en train de danser sous les étoiles des Caraïbes avec le play-boy du bateau. Je me trompe ?

— Tout à fait.

— J’aurais dû me douter que vous appeliez pour des raisons professionnelles.

— Sally, je voudrais que vous contactiez quelqu’un.

— Une seconde... Voilà, j’ai pris mon bloc et mon crayon. Qui dois-je contacter ?

— Le parlementaire qui a fait échouer mon projet des montagnes Rocheuses.

— Ce vieux machin de Mo...

— Oui, c’est bien lui, la coupa Loren. Je veux que vous lui parliez, de préférence de vive voix. Commencez par chez lui. S’il est sorti, demandez à sa femme où on peut le joindre. Si elle rouspète, prétendez que c’est une urgence. Racontez n’importe quoi, mais trouvez-le.

— Et après ?

— Après, rien. Dites que c’était une erreur. »

Il y eut quelques instants de silence, puis Sally demanda :

« Vous êtes sûre que vous n’avez pas bu ? »

Loren éclata de rire, imaginant ce qui devait se passer dans la tête de sa secrétaire.

« Je suis plus sobre qu’un chameau.

— Ça ne peut pas attendre demain ?

— Non. Il faut que je sache le plus tôt possible où il est.

— Mais il est plus de minuit !

— Peu m’importe, répliqua sèchement Loren. Rappelez-moi dès que vous l’aurez vu ou que vous aurez entendu sa voix. »

Elle raccrocha et se dirigea vers sa suite. Le paquebot baignait dans le clair de lune et la jeune femme s’attarda un instant sur le pont, regrettant que Pitt ne fût pas avec elle.

 

Loren venait de finir de se maquiller quand on frappa à la porte.

« Qui est là ?

— Le steward. »

Elle alla ouvrir. L’homme la salua, glissant un regard gêné dans l’échancrure de sa robe de chambre.

« Un appel urgent du continent, Mrs. Smith, dit-il avec un fort accent slave, Il vous attend dans la salle des communications. »

Loren le remercia et s’habilla rapidement. Une nouvelle standardiste lui indiqua une cabine. La voix de Sally s’éleva, aussi nette que si elle s’était trouvée juste à côté :

« Bonjour, fit-elle en bâillant.

— Alors ?

— La femme de Moran m’a dit qu’il était parti à la pêche avec le sénateur Larimer, annonça-t-elle sans laisser le temps à Loren de l’interrompre. Elle a précisé qu’ils étaient dans une réserve au sud de Quantico. J’ai sauté dans ma voiture pour aller vérifier. J’ai fait le tour de la région, mais aucune trace d’eux. Je suis donc rentrée à Washington et j’ai appelé les assistants de Moran. Ils ont confirmé cette histoire de pêche. Pour plus de sûreté, j’ai également téléphoné à des gens de l’entourage de Larimer. Même salade. En fait, personne ne les a vus depuis plus d’une semaine. Désolée de n’avoir pu faire mieux, mais j’ai l’impression qu’on essaie de cacher quelque chose. »

Loren eut soudain froid dans le dos. Le deuxième homme de l’hélicoptère aurait-il pu être le sénateur Marcus Larimer ?

« Je continue à chercher ? demanda Sally.

— Oui, s’il vous plaît.

— Bien… Ah ! j’allais oublier. Vous avez entendu les dernières nouvelles ?

— A dix heures du matin sur un bateau perdu au milieu de l’Atlantique ?

— Il s’agit de votre ami Dirk Pitt.

— Il est arrivé quelque chose à Dirk ? s’écria la jeune femme avec angoisse.

— Des inconnus ont fait sauter sa voiture. Heureusement, il n’était pas dedans mais il s’en est fallu de peu. Il se dirigeait vers elle quand il s’est arrêté pour bavarder avec un ami. D’après la police, à une minute près, on le ramassait à la petite cuillère. »

Les pensées de Loren se brouillèrent dans sa tête.

Tout arrivait trop vite. Les événements se télescopaient, semant la confusion dans son esprit. Elle se raccrocha au seul fil qui semblait encore solide.

« Sally, écoutez-moi bien. Appelez Dirk et dites-lui que… (un vrillement aigu lui transperça les tympans). Sally, vous m’entendez ? »

Seule la friture sur la ligne lui répondit. Elle se retourna pour protester auprès de l’opératrice, mais celle-ci avait disparu. A sa place se tenaient deux stewards, ou plutôt deux catcheurs déguisés en stewards, et le second. Ce dernier ouvrit la porte de la cabine et s’inclina sèchement.

« Si vous voulez bien me suivre, Mrs Smith. Le commandant désirerait vous parler. »

 

Panique à la Maison-Blanche
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